Tribune : « Pour éviter les pénuries, la solution n’est pas le recours décuplé à un modèle intensif »
Par Pierrick De Ronne, président de la Maison de la Bio. Texte initialement publié sur La-Croix.com le 12 septembre 2022.
Les enfants du monde de demain mangeront-ils à leur faim ? Alors que plus personne ne semblait en douter dernièrement, tout concourt à se poser la question. Sécheresse, incendies, inondations, inflation, raréfaction des matières premières et croissance démographique, il est difficile d’imaginer une conjoncture plus périlleuse que celle que nous connaissons actuellement pour le secteur agricole et le monde de l’alimentation. Pour éviter les pénuries, certains appellent au recours décuplé à un modèle intensif, alors qu’il est au contraire crucial d’engager une transformation en profondeur de nos modèles agricoles et alimentaires vers davantage de sobriété et d’efficacité, pour assurer aux générations futures un accès durable à une nourriture saine.
L’impératif de sobriété
Le sujet de la sobriété alimentaire et agricole n’est jamais abordé, sauf en cas de crises extrêmes, alors qu’il est l’enjeu clé de notre souveraineté, comme nous le montre l’actualité. Pire encore, elle semble être un impensé pour les décideurs. Le seul prisme énergétique et technologique pour y remédier semble réellement être étudié (serres à basse consommation, irrigations économes, etc.). Cela sous-tend donc que l’agriculture et notre modèle alimentaire n’évolueraient que par le seul progrès technique et que les efforts de sobriété devraient être portés par d’autres secteurs, notamment celui de l’énergie.
Pourtant les chiffres parlent d’eux-mêmes. Le GIEC a identifié que notre système agroalimentaire mondial était responsable de 29 % des émissions de gaz à effet de serre. Le rapport de Global Footprint Network et WWF, publié le 28 juillet dernier, soulignait quant à lui « les travers » du système alimentaire et agricole mondial : 55 % de la biocapacité de la terre est utilisée pour nourrir l’humanité. L’agriculture est responsable de 80 % de la déforestation et représente 70 % de l’utilisation de l’eau douce, les systèmes alimentaires rejettent 27 % des émissions de GES, ou encore la production alimentaire est responsable de 70 % de la perte de biodiversité terrestre et de 50 % de la perte de biodiversité en eau douce !
En un mot : notre système alimentaire fait aujourd’hui partie intégrante du problème. Mais elle peut devenir la solution.
Nourrir le monde
L’ensemble du secteur agricole peut aujourd’hui faire évoluer ses pratiques et faire beaucoup mieux à condition d’un réel soutien des pouvoirs publics. Dans le cas contraire, la biodiversité continuera à s’effondrer, les sols et les ressources seront épuisés, et nous ne pourrons plus produire autant à l’avenir. Diffuser largement l’agroécologie, qui consiste en une réduction drastique des pesticides chimiques et engrais de synthèse avec une limitation des impacts de l’agriculture sur la biodiversité, et développer les circuits courts pour accélérer la décarbonation sont donc des urgences absolues. Cela doit s’associer à deux autres enjeux clés de l’amélioration de notre performance écologique : gagner en efficacité de la production notamment grâce aux améliorations techniques, lutter massivement contre le gaspillage alimentaire en intégrant de nouveaux usages.
Ce qui n’est pas consensuel, c’est que le secteur agricole peut aussi faire moins, en mettant la question de la santé et du partage au cœur du système alimentaire. Car si 800 millions de personnes souffrent de la faim dans le monde, environ 30 % de la population adulte mondiale est en surpoids ou obèse, et 30 % de la nourriture produite au niveau mondial est gâchée, gaspillée voire jetée ! Pour y remédier nous devons donc construire une réelle sobriété alimentaire, qui concerne la lutte contre le gaspillage mais aussi l’évolution de notre alimentation, sujet encore controversé car il voit se percuter la nécessaire réduction de l’impact de nos régimes alimentaires sur l’environnement et les habitudes alimentaires liées à notre culture et la reconnaissance sociale.
Une volonté politique et collective
Mais cette régulation essentielle ne verra de résultat que si elle est collective, et ne repose pas que sur des actions individuelles. Nous manquons d’une politique volontariste qui valorise à hauteur de nos ambitions la non-utilisation de pesticides chimique, la juste rémunération des agriculteurs et la proximité. Il en va de la biodiversité, de la santé de chacun et de la dignité de tous.
Intégrons donc dans le prix final les impacts d’un produit sur l’environnement et la biodiversité avec une taxation plus importante des impacts négatifs d’un produit et une taxation moindre pour les produits plus vertueux. Sortons d’un prix nivelé à la baisse par les grands distributeurs, qui détruit de la valeur et pèse sur les épaules des agriculteurs et producteurs : cela permettrait d’avoir dans nos paniers le vrai prix des produits, notamment les protéines animales. Prônons la transparence sur les produits afin que les consommateurs puissent connaître l’impact de leurs achats sur l’utilisation de pesticides, la biodiversité, le rejet de carbone et le bien-être animal. Enfin, réglons la question sociale de l’accès à une alimentation de qualité en en faisant une priorité. Rendons accessibles cette alimentation aux personnes et familles en difficulté avec une sécurité sociale alimentaire ou des chèques alimentaires durables.